Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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Cet éditorial s’appuie sur des problématiques locales, guadeloupéennes mais finalement pas si régionalisées.
Elles s’inscrivent dans les sables mouvants dans lesquels la psychiatrie semble devoir être expédiée grâce à la sécuritomanie qui fait fureur actuellement (trouble mental peu curable mais très répandu, avec risque d’extension pandémique, qui dure plus d’une journée, très certainement en bonne place dans le DSM-V à venir.
Les masques pourraient être utiles pour se protéger d’autrui mais ceux en stock résiduel de la grippe H1N1 n’étant pas transparents et voilant une partie du visage, ne seront pas utilisables. Quatre vingt millions de masques transparents sont en commande. Circulaire d’instruction cosignée ministère de l’intérieur et ministère de la santé à paraître de manière imminente).
La première partie du titre s’inspire d’une interview de Michel Foucault par le philosophe Daniel Eribon en 1981 (Paru dans Libération n°15, 30-31 mai 1981 in Dits et Ecrits II, 1986-1988, 296, p. 997) peu après l’arrivée de la gauche au pouvoir ; sa deuxième partie reflète un questionnement local sur le sens des soins que l’on peut prodiguer à partir d’un secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire. L’ensemble peut être relié aux projets en cours relatifs aux soins psychiatriques (réforme de la loi de 1990 et loi santé mentale) sans oublier l’analyse du livre de Mireille Delmas-Marty qui ouvre ce numéro de Kamo.
L’EAPL (Espace d’Accompagnement Psycho-Légal) est une consultation dite post-pénale (terminologie officielle peu satisfaisante. Consultation extra pénitentiaire serait plus appropriée) du SMPR de Baie-Mahault en Guadeloupe et l’acronyme CRIAVS correspond au Centre Ressources pour les Intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles et qui pourrait ouvrir en Guadeloupe au cours de l’année 2010 (crédits débloqués en Guadeloupe par l’ARH en 2009) si les autorités en ressentent l’utilité et si elles ne souhaitent pas déroger à la volonté politique de voir ouvrir des CRIAVS dans chaque région (décision prise initialement au cours du Plan
Psychiatrie et santé mentale de 2005 dans le cadre de projets interrégionaux, régionalisés ensuite en 2008).
S’il n’est guère étonnant que des résistances multiples se manifestent quand il s’agit de donner des soins à la « racaille », il devient irritant (mais guère surprenant en fait) pour un chef de service, de constater au sein de l’équipe qu’il anime depuis plusieurs années que son message ne passe pas, en dépit d’efforts pédagogiques répétés, aisément traçables (pour utiliser les terminologies contemporaines), comme Kamo par exemple….
De quoi s’agit-il ? D’abord, constatons en ces temps où le secteur moribond est pleuré par quelques anciens – sans que son jubilé (naissance le 15 mars 1960) n’ait été fêté – que lors de la reconnaissance légale des secteurs en 1985/1986, personne ne semble s’être offusqué de l’offense à l’esprit du secteur que représentait la création du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire. Pourtant en 1986, l’idée du CMP comme pivot du secteur était bien ancrée dans les esprits, symbole de la désaliénation et du centrage du soin psychiatrique hors de l’hôpital.
La pédopsychiatrie depuis 1972 avait affirmé ce concept en ayant au moins la moitié des secteurs dépourvus de lits d’hospitalisation complète. Mais le naissant secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire place son « CMP » pivot – le SMPR – en plein centre du renfermement carcéral. La filière ségrégative se confirme avec les UHSA, voire les centres de rétention de sûreté. Au moins, les psychiatres des prisons n’ont-ils pas à se poser la question des portes ouvertes ou fermées des pavillons ni celle de la liberté d’aller et venir de leurs patients. Et même dans le Babel psychiatrique, un constat assez consensuel s’impose : les malades mentaux affluent en prison. La prison qui n’est pas un lieu de soin comme le rappelle le récent rapport d’information du Sénat déposé le 5 mai 2010 et relatif à « La prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions » sur lequel il faudra revenir dans un prochain numéro après analyse.
Si on se livre à un parallélisme simple, on trouve les analogies suivantes. Aux couples réhospitalisation/ réincarcération et rechute/récidive, le soignant espère répondre par celui de réhabilitation/réinsertion. Le psychiatre du secteur de psychiatrie générale pour éviter réhospitalisation et rechute grâce entre autres à la réhabilitation s’appuie sur des outils externalisés par rapport à l’hôpital (quand il en a…) : CMP, hôpital de jour,
CATTP, HAD, appartement thérapeutique, sans compter last but not the least, outre chimo et psychothérapies, sur l’alliance avec les familles ou l’entourage de la personne malade. Sur quoi s’appuie le psychiatre des SMPR ? Sur par grand-chose. La plupart du temps, le patient lui échappe à défaut de s’échapper.
Libéré, il se débrouille seul. Sauf quand une articulation avec les secteurs a pu se faire. Ce qui n’est toujours très simple. Les contacts avec les familles ne sont pas non plus facilités par les murs des prisons.
D’où l’idée que la psychiatrie en milieu pénitentiaire, si elle ne veut pas être un aliénisme, fasse de sa consultation extrapénitentiaire son unité fonctionnelle pivot. Elle permet de travailler avec les familles pendant l’incarcération, en les accueillant si possible à distance de la prison, bâtiment qui leur serre le cœur à chaque parloir, et de permettre en tant que de besoin, d’articuler la prise en charge entre la prison et le secteur à la libération du patient en l’accompagnant pendant un temps limité (d’où notre choix local de le dénommer espace d’accompagnement ; espace aussi pour s’opposer au confinement carcéral). Ce type de consultation est encore assez rare. Une enquête DHOS récente (publiée en 2009) indique 23 consultations post-pénales dont 11 rattachées à des SMPR (sur les 26 SMPR) et 12 à des services de psychiatrie générale.
11 assurent des consultations assurant la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et seulement 2 consultations sont dédiées aux jeunes. La file active 2007 de ces consultations varie entre 23 et 150. Ils’agit donc d’un développement modéré lié le plus souvent à un manque de moyens en locaux et en personnels, voire à une absence de volonté de politique sanitaire des SMPR dans un contexte où la charge de travail en prison ne permet pas de « penser un ailleurs ».
Et pourtant il s’agit bien en travaillant avec les patients incarcérés de penser avec eux un ailleurs détaché de l’univers concentrationnaire de la prison. Pour les soins somatiques, la médecine s’est extraite du joug pénitentiaire avec la loi de 1994, quittant la « médecine de sous-hommes » comme la nommait Robert Badinter ; pour la psychiatrie, la tutelle sanitaire est encore plus ancienne. Et pourtant, actuellement la tendance est bien de faire réintégrer les soignants sous le régime pénitentiaire. Les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) qui ont pour objet d’étudier le parcours d’exécution de la peine (PEP) des personnes détenues rêvent d’inclure UCSA et SMPR dans leur staff de conseil de gestion de la population pénale. Si les soignants sont là pour participer à l’exécution de la peine, ils devraient s’offusquer qu’un équivalent du conseil de l’ordre des USA vienne de menacer de retirer leur droit d’exercer aux anesthésistes qui participeraient aux injections létales, aboutissements jouissifs pour certains d’un parcours « d’exécution » de la peine pleinement réussi….
Participer à la réinsertion, faire en sorte que les patients ex délinquants puissent réintégrer le moins mal possible pour eux-mêmes et la société le monde libre, paraît être le B.A.-BA d’un travail de secteur. Qu’il faille l’expliquer aux collègues, aux soignants, et aux administratifs, tous semblant parfois se résigner à des obligations comptables à courte vue et aux redoutables lois du marché, devient le signe que l’esprit du secteur est en passe de disparaître. Il n’a pourtant que 50 ans et l’âge de la retraite s’éloignant, on serait en droit d’espérer un répit. La mémoire s’altérant avec le temps, il n’est pas inutile de rappeler ici ce passage de la circulaire du 15 mars 1960 : « Entreprendre les soins des malade mentaux à un stade plus précoce, avec de plus grandes chances de succès, et apporter aux anciens malades un appui médico-social efficace leur évitant des récidives. Cette conception entraîne la nécessité de confier à la même équipe médicosociale la charge du malade en cure hospitalière et en pré et postcure. Il est, en effet, indispensable que le malade sorti de l’hôpital psychiatrique, retrouve au dispensaire, au foyer de postcure, le médecin qui l’a traité à l’hôpital psychiatrique. C’est la condition même pour qu’il accepte cette postcure. Par ailleurs, nul plus que le médecin de l’hôpital psychiatrique, n’est intéressé au but poursuivi qui est d’éviter des hospitalisations inutiles »

Les consultations extrapénitentiaires ont cette fonction d’authentique travail de secteur, et lorsque l’on accueille les familles des patients incarcérés, ce que permettent ces dispositifs, on prend conscience de leur désarroi et de toutes les alliances qu’il faut mettre en place face à ces situations sociales et personnelles en grande précarité.
On pense alors à Claude Finkelstein, représentante des usagers, et à Yvan Halimi, psychiatre, honorés ensemble de l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur par le président de la République le 21 octobre 2009 pour leur action commune.
Ne pas soutenir les actions de réinsertion, ne pas en percevoir toutes les difficultés et toutes les embûches, ne pas oeuvrer pour faire avancer ces projets, serait plus criminel que ceux à qui elles s’adressent. La psychiatrie cherche à lutter contre l’exclusion, mais souvent elle exclut, même en son sein. Cachez-moi en effet tous ces méchants qui prennent les sous des honnêtes gens, spoliés par cette inconsidérée dépense publique qui serait tellement mieux orientée pour eux-mêmes. La rigueur pour la racaille !
A la fin de l’entretien de Michel Foucault cité in limine, le philosophe confie : « Tant de choses peuvent être changées, fragiles comme elles sont, liées à plus de contingences que de nécessités, à plus d’arbitraire que d’évidence, à plus de contingences historiques complexes mais passagères qu’à des constantes anthropologiques inévitables… » et pour expliquer les blocages des réformes M. Foucault précise : « S’il n’y a pas eu à la base le travail de la pensée sur elle-même et si effectivement des modes de pensée, c’est-à-dire des modes d’action, n’ont pas été modifiés, quel que soit le projet de réforme, on sait qu’il va être phagocyté, digéré par des modes de comportements et d’institutions qui seront toujours les mêmes ». Le problème se pose quand on croit acquis le concept de secteur et que l’on constate que ce concept progressif rencontre trop de résistance car trop exigeant, demandant un engagement professionnel sans restriction. Comme l’inconscient, ça résiste, au détriment de l’intérêt des usagers.
D’où l’importance encore de penser, au moins un peu…..
Et surtout pour terminer, un très amical salut, à mon collègue Cyrille Canetti, chef du SMPR de la Santé, qui en dépit de son expérience professionnelle récente en tant qu’otage, ne s’est pas départi de sa capacité de pensée.