Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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Le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux réuni ce jour en Conseil National, condamne l’inadmissible attaque dont fait l’objet notre collègue Pierre Delion dans sa démarche de recherche et de développement de pratiques de soins.

Reconnu par l’ensemble de la profession pour être un ardent défenseur d’une psychiatrie humaniste et éthique, Pierre Delion travaille avec son équipe à la validation, sous certaines conditions, de pratiques de soins qui visent à l’apaisement des angoisses de morcellement et d’effondrement qui dominent dans certaines pathologies et sur lesquelles la psychiatrie infanto juvénile a construit au fil des années un corpus de connaissances cliniques et théoriques.

Ces techniques constituent un des éléments du dispositif de soins dont dispose la discipline de psychiatrie infanto juvénile et il est légitime que les praticiens se soucient de mener une démarche de recherche scientifique sur laquelle appuyer leur pratique soignante.

Le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux exprime son entière solidarité à Pierre Delion et considérant qu’il s’agit là d’une attaque directe de la communauté soignante, est déterminé à réagir à cette nouvelle mise en cause des compétences médicales de la psychiatrie.


LE SOIN EN PSYCHIATRIE : QUI EST COMPETENT, QUI DECIDE DE LA VALIDITE ?

Dr Fabienne Roos-weil
Membre du conseil d’administration de la Société de l’Information Psychiatrique.

Les options thérapeutiques prises en psychiatrie infanto-juvénile, pour les enfants autistes, font de longue date l’objet de controverses, voire de querelles idéologiques (1). Les parents de ces enfants, et les associations qui les représentent, se trouvent aux prises avec des doutes quant au meilleur choix thérapeutique possible et peuvent manifester à l’égard des soignants une grande variété de réactions, des plus extrêmes aux plus mesurées.
La contestation prend aujourd’hui une forme virulente à l’égard de Pierre Delion, au sujet du packing ; c’est notre discipline toute entière qui se trouve ainsi mise en cause, à travers l’un de ses plus remarquables praticiens.

Une association de parents a demandé récemment aux pouvoirs publics d’interdire dès à présent la pratique du packing par le biais d’un moratoire et de nommer une commission parlementaire « pour constater la réalité du terrain ». Les pouvoirs publics se trouvent sommés, sous la pression de cette action des usagers, de prendre position immédiate dans le domaine de la pratique et du savoir médical, et de suspendre une recherche en cours sur le packing ; cela constituerait, comme le constate Bernard Golse dans un communiqué publié sur Psynem (www.psynem.necker.fr), un fait inédit dans le champ de notre exercice.

Dans une réponse à la lettre ouverte de Pierre Delion, le 24 avril 2009, les auteurs de cette demande évoquent, à propos des enfants recevant ce soin, les notions de « maltraitance, délaissement, atteinte aux droits de l’enfant, aux droits humains, inefficacité du soin, manque d’évaluation » ; la validation officielle du protocole de recherche en cours sur le packing (PHRC) est estimée douteuse ; l’importance de l’éducation (avec la confusion déjà relevée par Denys Ribas (2) entre éducation, rééducations et traitement comportemental) y est mise en avant une énième fois dans une opposition erronée au soin. La critique de l’ensemble des soins en psychiatrie y est explicite.

Ces attaques sont loin de faire l’unanimité parmi les associations, comme en témoignent certains communiqués ; elles sont pour nous l’occasion de tenter de dégager des questionnements dans le domaine de l’éthique et des méthodologies de l’évaluation et de l’épistémologie au sens large, qui ont particulièrement occupé le champ de notre discipline ces dernières années, et de tenter de pointer les impasses où se trouvent conduits des positionnements trop radicaux.

L’éthique se trouve donc interpellée au nom d’une atteinte à la bientraitance de l’enfant :

Toute réflexion éthique s’adresse particulièrement au cadre du lien thérapeutique établi entre les 2 parties : le patient et ici ses parents d’une part, le médecin d’autre part, avec en arrière plan le tiers social ; ce lien est le fondement essentiel et le reflet du respect réciproque et de la confiance entre le patient et le médecin; l’éthique orientera le savoir et le savoir-faire. Le malade, ses parents, ont droit à la confidentialité, à la vérité, au respect de leurs valeurs. Ces données sont inchangées depuis Hippocrate : « une confiance rencontrant une conscience ».

D’ailleurs la démocratisation de la santé qu’a su promouvoir la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, a contribué à infléchir les pratiques dans le sens d’une meilleure information du patient. De plus, la notion d’alliance thérapeutique, préoccupation de longue date des psychiatres, supposant le dialogue, l’écoute, est au cœur des théories psychodynamiques et des thérapies institutionnelles, accordant au patient la place active de sujet.

L’éthique professionnelle apparaît d’autant mieux respectée que le psychiatre recourt à une pluralité théorique et pratique (3). Ce nous semble être le cas avec la perspective « intégrative » de la psychiatrie infanto-juvénile aujourd’hui.

Pour autant, on sait que le principe d’un rapport d’égalité entre deux parties dans la dignité ne signifie pas égalité face à la maladie : il y a inégalité dans la relation médecin malade ; les psychiatres savent ce que l’autisme impose de souffrance à la famille qui entoure l’enfant; les parents que nous rencontrons sont en détresse et demande d’aide. Dans le cas de troubles massifs menaçant la vie de l’enfant (automutilations de l’enfant autiste, mais aussi formes graves d’autodestruction dans d’autres pathologies) ou compromettant radicalement la vie relationnelle (violence), le psychiatre peut se sentir tenu de prendre ses responsabilités en choisissant certaines formes d’actions (le packing en est une, mais bien plus souvent encore des traitements médicamenteux non dénués d’effets secondaires) ; l’information précise des parents conditionnera la valeur d’un consentement que l’on qualifiera d’éclairé. C’est en tenant compte avant tout de la vulnérabilité de l’enfant, de la nécessité d’atténuer son angoisse face à la maladie, tout en étant attentif aux souhaits de la famille, que le psychiatre prendra ses décisions, sans en faire peser toute la charge sur la famille.

La défiance à l’égard du pouvoir médical, les attitudes procédurières, conduisent à l’échec du lien thérapeutique. Et si, au nom des normes juridiques, des droits du citoyen, le sujet souffrant cède la place au sujet de droit, le malade (citoyen) au citoyen(malade), ce peut être l’impasse de toute entreprise de soin (4).

Les modèles d’évaluation et l’épistémologie au sens large sont aussi convoqués à partir de la remise en cause de l’efficacité :

Il y a aujourd’hui une demande de partage du savoir, qui ne devrait plus être le monopole du monde médical et ce « droit de savoir » est légitimé .
Quand il ne confine pas à la contestation de tout savoir disciplinaire,comme dans la situation qui nous occupe, ce partage trouve sa limite dans la difficulté de la tâche : justifier auprès de l’opinion, du public des conditions de notre savoir, c’est supposer que le public, l’usager, comprend les conditions de production de ce savoir ; c’est lui supposer une connaissance de concepts précis et fondamentaux, tels que la distinction entre validité interne (de la démarche scientifique) et validité externe (transposable dans les pratiques réelles). C’est l’informer qu’en psychiatrie et en particulier dans les évaluations des méthodes psychothérapiques (5), on tend à abandonner les mesures objectives comme seul critère de vérité et on soutient l’intérêt de modélisations et de stratégies d’évaluation complexes et diversifiées ; on recourt à diverses méthodes de vérification empirique et notamment les protocoles de cas singulier, et surtout la reconnaissance primordiale du savoir clinique ou du jugement clinique.

Les avancées des neurosciences, admises par tout un chacun, ont modifié les points de vue sur l’autisme ; certains symptômes, par exemple, y sont perçus comme vraisemblablement induits par des difficultés d’intégration sensorielle précoces ; l’hypothèse multifactorielle, avec combinaison de facteurs génétiques multiples, facteurs neurodéveloppementaux et environnementaux est le plus souvent reconnue.

Mais aucun chercheur en neurosciences n’affirme que l’on est en droit de déduire, d’un montage neuronal, un montage comportemental et aucun traitement n’a encore fait la preuve de résultats spectaculaires. Les projets thérapeutiques demeurent marqués par l’empirisme et la volonté intégrative, ce qui ne les empêchent pas d’être évalués dans leurs effets. Nombre de traitements médicamenteux, dans d’autres champs de la médecine, ont d’ailleurs connu d’abord un succès pragmatique, avant qu’on puisse identifier plus précisément le mode d’action.

Le packing peut se réclamer de théories de construction de l’image du corps, celle-ci contribuant aux processus de pensée ; ces théories ont leur cohérence propre ; comme bien d’autres modèles théoriques, elles ont une valeur de « compréhension » ou de « représentation » des troubles ; cette valeur se vérifie avec d’autres médiations corporelles (thérapies psycho-motrices , pataugeoire, massage…) et soutiennent le travail quotidien des soignants. Le PHRC en cours pourra valider d’autres hypothèses quant à son mode d’action : les premières recherches s’orientent par exemple sur l’éventualité que la voie thermoalgique proposée dans l’enveloppement aide l’enfant à se décentrer des sensations douloureuses provoquées par les automutilations, et par effet d’ouverture, à se rendre disponible à d’autres sensations offertes par l’environnement. La pluralité des références théoriques viendra nous montrer que la recherche clinique, comme la pratique clinique, est aussi une création.

On ne peut que souhaiter que le public reconnaisse au psychiatre la possibilité de faire valoir un savoir-faire issu d’une « théorie de la pratique » (développée par G. Lantéri Laura) qui permet au praticien d’adapter les références théoriques aux situations singulières ; c’est cette reconnaissance qui aidera à apaiser les conflits.

1- J. Hochman –« Histoire de l’autisme »- Odile Jacob-2009

2- Lettre ouverte au Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé- avis n°102- décembre 2007

3- J.J.Kress-« Ethique en psychiatrie : information-consentement-décision» in :Où va la médecine ? Sens des représentations et pratiques médicales- M.J Thiel -PUF-2003

4- A. Danion-Grilliat-« Le diagnostic en psychiatrie : questions éthiques»-Introduction-Masson-2006

5- G.Fischman (sous la direction) « Evaluation des psychothérapies et de la psychanalyse -fondements et enjeux»-Masson-2009