Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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Le trentième anniversaire de la loi 180/78 a été rappelé à voix basse, non seulement en Lombardie, bien qu’il s’est agi d’un changement qui a fait époque et où nous nous reconnaissons et où plusieurs d’entre nous ont lutté pour sa réalisation. Le climat culturel aujourd’hui a beaucoup changé: les personnes différentes, non intégrées ou désavantagées, suscitent la suspicion et la peur ; sûrement pas un engagement pour leur donner droit de cité. Elles deviennent les nouveaux boucs émissaires de nombreux problèmes non traités ou non résolus.

A l’inverse, pour notre part, nous retenons que nous devons défendre avec fermeté les principes et l’esprit de la Loi 180/78. Ceci ne veut naturellement pas dire que, à distance de trente ans, des changements de certains aspects de la loi ne soient pas possibles ou même opportuns. Ces modifications doivent servir à l’améliorer et non pas à la dénaturer, comme le proposent les différents projets de changement en suspens au parlement. Nous sommes opposés à augmenter les temps et les lieux des traitements obligatoires. Déjà, dans les cas qui le nécessitent, le TSO (Traitement Sanitaire Obligatoire) peut être prorogé longtemps à condition que la demande soit motivée. L’étendre à des structures privées ou conventionnées rendrait les garanties incertaines contre d’éventuels abus et réduirait les certitudes sur les standards de qualité professionnelle.

Au niveau régional, dans le cadre global d’application de la loi et d’ajustement à de nouveaux aspects (nouvelles pathologies, nouvelles populations à risque, stratégies de réhabilitation différenciées, etc.), la suppression du Bureau de la Psychiatrie a eu de graves conséquences. On a perdu une dimension de spécificité, indispensable pour sauvegarder l’identité de la psychiatrie et sa mission. Le champ de la psychiatrie a inévitablement été attiré dans la zone médicale, sans maintenir l’importance nécessaire ni de la composante psychologique ni de la composante sociale, en méconnaissant de telle manière le paradigme biopsychosocial.

Tout ceci s’est complètement manifesté au niveau institutionnel avec le passage en 1998 du gouvernement des USSL (Unités Sanitaires Sociales Locales) aux Hôpitaux. La dimension communautaire de notre travail a été profondément mortifiée, en accentuant de manière démesurée les aspects hospitaliers, l’hospitalisation, les traitements pharmacologiques, au désavantage des aspects préventifs, de diagnostic précoce, de traitement intensif intégré, d’intervention domiciliaire, de soutien à la famille, d’implication des services et ressources de la communauté. Combien de chefs de clinique travaillent-ils régulièrement aussi hors de l’hôpital? Combien de directeurs généraux, sanitaires et administratifs sont-ils vraiment informés et impliqués dans ces aspects de la réalisation psychiatrique?

La conséquence de tout ceci est la surestimation des services de psychiatrie hospitaliers (SPDC) , qui d’autre part fonctionnent souvent à des niveaux qualitatifs déplorables, avec un sous-dimensionnement, une réduction de personnel et parfois la fermeture des services dans la communauté. Par exemple, plusieurs de ces services (CPS) de la ville de Milan sont dans des conditions scandaleuses, que ce soit du point de vue du milieu ambiant de travail et d’accueil, que ce soit du personnel et de l’accès aux soins, avec de lourdes conséquences tant en terme de qualité que de risques. Il serait trop facile d’attribuer un tel état de détérioration et d’incurie à la seule responsabilité des instances gestionnaires: tous les opérateurs impliqués, spécialement les directions des services, en partagent la responsabilité.

L’implication insuffisante des directions générales et sanitaires dans nos besoins spécifiques comporte aussi une attention insuffisante envers les risques du travail psychiatrique: soit les risques que les opérateurs courent physiquement tous les jours, (on pense aux services hospitaliers de Secours d’urgence où le psychiatre travaille souvent sans infirmiers) soit les risques d’être incriminé pour imprudence, maladresse, négligence, et maintenant aussi pour ne pas avoir déroulé d’une manière adéquate la “fonction dite de garantie” vis-à-vis des malades graves.
L’intégration dans les Hôpitaux a entrainé différentes distorsions, principalement économiques. Même la psychiatrie a été forcée d’entrer dans le mécanisme du financement à la prestation. Nous mentionnons là l’énorme quantité de temps utilisée par les opérateurs pour ces comptes-rendus, à la perte de centrisme du travail clinique de bonne qualité, au déplacement réel ou fictif vers les activités mieux rémunérées, aux distorsions diagnostiques, et ainsi de suite.

Mais, malgré les efforts des Unités Psychiatriques, notre secteur continue à être un des moins avantageux et moins rémunérateur pour les agences de gouvernance de la santé, en tenant compte de la logique rigide budgétaire voulue par la Région. Nous ne voulons donc pas nier l’attention portée à la gestion des ressources et à l’évaluation des priorités, même dans l’optique du rapport coûts/bénéfices. Nous n’entendons pas méconnaître la nécessité d’opérer de manière efficace et efficiente, en mesurant ses propres activités. Ce qui nous semble nécessaire, après dix ans d’organisation selon les principes d’entreprise, est d’éviter les excès et de rééquilibrer tout l’aménagement gestionnaire.

La dimension d’entreprise comporte aussi des obligations de fidélité et d’obéissance qui dans le passé étaient méconnus. S’il y a de graves fautes, des omissions, des inexécutions, la tendance est d’atténuer, apaiser, couper: il y va du bon nom de l’Agence de direction de la santé. Les rapports avec la presse sont étroitement réservés à l’Agence et à sa Direction ; pour la seule violation de cette règle, maintenant on risque des sanctions et des pénalisations au niveau de la carrière.
D’un climat de crainte à la connivence le passage est court ; on s’y engage aisément dans le recrutement des opérateurs par appartenance idéologico-politique. Les directeurs généraux sont déjà officiellement l’expression des partis de la majorité régionale. Les responsables cliniques ont commencé depuis longtemps à le devenir sauf des exceptions. Les autres opérateurs sont appelés à s’y adapter.

Mais la psychiatrie doit affronter d’autres attaques, cette fois au niveau national (évidemment, avec des répercussions locales). Il s’agit de la campagne politique et médiatique forcenée, ayant tendance à dramatiser la dangerosité sociale de tous les sujets marginaux et à exagérer le risque lié à la déviance: de la délinquance aux rom, aux malades mentaux le pas est vite franchi…. Aujourd’hui on se dirige vers la réattribution aux services psychiatriques d’un mandat prédominant de contrôle et non pas de soin, pour ce qui concerne les malades difficiles ; aux psychiatres on demandera de plus en plus de compétences et d’activités de criminologues plutôt que des compétences cliniques et de réhabilitation. Par conséquent, des attitudes de défense du patient, une compréhension de ses difficultés, voire de l’empathie, pourront être considérées comme de dangereuses faiblesses desquelles il faut se méfier!
À ce propos, nous ne mettons en avant aucun boniment ni ingénuité ou négation des possibilités d’aspects violents ou agressifs liés aux troubles mentaux. Nous croyons qu’une collaboration intense et continue est indispensable avec la police locale et les autres forces de l’ordre, surtout dans un but préventif, en restant cependant chacun dans son rôle, et en distinguant clairement les compétences : c’est-à-dire éviter que privation sociale et déviance soient déléguées improprement à la psychiatrie, qui plus est avec la demande de déployer ses instruments d’intervention coercitive.

Ensuite il faut s’opposer de manière nette, active et propositionnelle aux orientations culturelles, politiques et techniques qui aujourd’hui proposent de nouveau avec force la peur pour le différent, l’éloignement de l’étranger, la séparation et la réclusion du malade, en justifiant ces choix conservateurs avec les exigences de sûreté des italiens “normaux” et “bien intégrés”. Quant à la tendance actuelle d’attribuer à la psychiatrie des tâches croissantes de tutelle de l’ordre social et un profil prédominant de criminologie, il faut rappeler et faire comprendre à tous que ceci finit par exclure un véritable travail clinico-thérapeutique et de réhabilitation. Sur tout ceci il faudra développer le rapprochement, toujours difficile et très sporadique, avec le monde de la justice.

Pour commencer, un grand travail culturel nous attend. Le rétrécissement d’horizon de la recherche et de la culture psychiatrique est incontestable: il suffit de penser que le DSM IV est utilisé depuis des années comme texte-base pour tous les étudiants y compris ceux qui sont en cours de spécialisation en psychiatrie. Depuis des années la présence et le poids des industries pharmaceutiques et de la dimension pharmacologique, grâce aussi aux succès indiscutables, ne fait qu’augmenter; les propositions de l’industrie sont souvent accueillies de manière acritique, comme si elles étaient “la” solution aux problèmes de la maladie mentale. Chaque année un nouveau syndrome est déterminé, à traiter évidemment avec une catégorie spécifique de médicaments, et ainsi de suite. La formation, surtout mais pas exclusivement celle des psychiatres, grâce aussi à la réduction des ressources destinées aux services publics, est en large mesure gérée par les industries pharmaceutiques.

Il faut redonner une attention certaine à la dimension intérieure et personnelle de la souffrance qui la connote comme souffrance humaine et commune à chacun de nous. Il faut surtout développer, aussi dans le débat social et vis-à-vis de l’opinion publique, ces réflexions et ces thématiques qui refusent le simplisme des étiquettes, en tâchant de donner un sens aux nouveaux phénomènes sociaux : immigration, non-intégration, multi-culturalisme, racisme rampant ou explicite, isolement, peur, situation féminine, crise économique et chômage, insécurité, usage généralisé de substances stupéfiantes, ajustement au conformisme médiatique, tendance à la consommation effrénée, crise de la famille, intégrismes de toutes sortes, intolérance, religions utilisées comme défenses d’identité, traditions locales exagérées et ainsi de suite.
On objectera que ce dont nous parlons ne peut être défini psychiatrie mais sociologie; cependant nous ne pourrons pas défendre notre idée de faire de la psychiatrie si nous nous faisons enfermer en nous occupant de nos affaires de manière minimaliste, aujourd’hui presque seulement pharmacologique.

La capacité insuffisante de rapprochement et d’action commune, est un grave obstacle surtout de la part des opérateurs. De fait, il n’existe plus d’endroit de réelle agrégation (syndicats, associations professionnelles, groupes représentatifs) dans lesquels la plus grande partie se reconnait, tandis que les moments de rencontre institutionnels sont de plus en plus formels, arides et souvent conduits selon des modalités autoritaires. Il y a sûrement un peu plus de vitalité dans les associations des familles et dans celles des bénévoles, tandis que les associations des utilisateurs sont en train de naitre; mais toutes ces réalités sont très parcellisées et très peu en liaison entre elles.

Nous ne considérons pas comme opportun, pour favoriser le réveil que nous souhaitons, de constituer de nouveaux groupes formalisés et de nouvelles associations. Il faut par contre déterminer de nouvelles formes de dialogue et de rapprochement, souples et efficaces, rapides et non bureaucratiques (que pensez-vous d’un site on line?), pour nous permettre des moments de rencontre, des orientations largement partagées, des initiatives pratiques. Sur tout ceci nous désirons avoir vos conseils et avis ; nous attendons donc vos réponses et vos propositions.

Premiers signataires :
Germana Agnetti, Antonio Amatulli, Angelo Barbato, Stefania Borghetti, Arcadio Erlicher, Maria Frova, Giorgio Legnani, Umberto Mazza, Pasquale Pismataro, Gianfranco Pittini, Edoardo Re, Michele Stuflesser, Enrico Varrani.

Milan, Mars 2009

Envoyer les signatures et adhésions à:
gianfranco.pittini@tele2.it
ou à
Angelo Barbato
Unità di Epidemiologia e Psichiatria Sociale,
Via La Masa 19, 20156 Milano,
Tel. 02-39014431, Fax 02-39014300