Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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Fin décembre, la commission des affaires sociales du Sénat a décidé de se pencher sur la psychiatrie. De quoi faire espérer à la discipline une meilleure année 2013 que les millésimes antérieurs qui ont conduit, contre l’avis de la majorité des usagers et des professionnels, à la réforme des soins sans consentement de 2011.

Espoir qu’il faut immédiatement pondérer lorsqu’on se souvient, comme le rappelle lui-même le sénateur Milon, que ce nouveau rapport « sur la prise en charge psychiatrique des personnes souffrant de troubles mentaux » a été précédé d’une vingtaine d’autres au cours des dix dernières années, restés en très grande partie dans les tiroirs. On peut s’interroger sur l’impact qu’auront ses 11 nouvelles propositions sénatoriales dans les votes parlementaires, alors qu’une autre mission d’information sur « la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie » installée cette fois par l’Assemblée nationale a annoncé le même jour son programme de travail. Si on veut bien se réjouir de tant de sollicitude pour la psychiatrie, on est en droit d’attendre de ces missions parlementaires sur le même sujet, un minimum de coordination.

Or on note que le sénateur Milon, bien que penché sur la prise en charge psychiatrique, ne traite pas dans son nouveau rapport de l’application polémique et récente de la loi du 5 juillet 2011, dont pourtant le gouvernement devra se soucier pour répondre à la dernière décision du Conseil Constitutionnel qui l’obligera au minimum à modifier plusieurs articles avant octobre 2013. Et on constate avec consternation que tout le champ de la psychiatrie médicolégale et en milieu pénitentiaire n’y est pas même évoqué, comme si ces questions pouvaient être évacuées de celles des impératifs de santé publique.

En comparaison de son précédent rapport dont il avait été chargé en 2009 par l’Office Parlementaire d’Evaluation des Politiques de Santé, le rapporteur se garde cette fois de donner une image des soins psychiatriques catastrophique. Il va même jusqu’à souligner les qualités d’une psychiatrie française restée axée vers une « thérapie de l’être » et plus nuancée que celle des anglo-saxons. Mais il n’abandonne pas pour autant son analyse selon laquelle la psychiatrie souffrirait d’abord d’être repliée sur elle-même, insuffisante à développer les réseaux de soins et coupée selon lui des autres spécialités médicales comme l’indiquerait la mauvaise qualité de prise charge somatique des malades mentaux.

Persévérant sur ce sujet de la prise en charge somatique des patients souffrant de troubles psychiatriques, la responsabilité de son insuffisance est singulièrement (et paradoxalement s’il s’agit de décloisonner) imputée à la psychiatrie: est-il prévu un rapport parlementaire pour analyser la qualité de prise en charge des troubles psychiques en services de soins somatiques ?

La critique récurrente du cloisonnement de la psychiatrie est affirmée sans approfondissement, laissant spéculer qu’il s’agit d’une démarche volontaire des professionnels. On voit là se jouer une nouvelle fois les amalgames et les mauvaises interprétations de nos tutelles, selon lesquelles la permanence de revendications professionnelles pour que soient reconnues les spécificités de la psychiatrie dans la planification sanitaire, conduit nécessairement à l’isolement délétère pour les patients.

Quant aux « réseaux de soins », brandis en 3e proposition comme solutions à tous les cloisonnements, on reste quand-même sur sa faim d’en trouver une définition éclairante, qui expliquerait en quoi le secteur, dont les qualités sont répétées par ailleurs (proximité, continuité, cohérence des soins, prévention et réinsertion), peinerait à y pourvoir. De là à imaginer qu’après les GLC du rapport Couty, la commission parlementaire cherche dans les réseaux de soins en psychiatrie, le nouveau Graal d’alternative au secteur plutôt que son complément, il y a peu : c’est bien le trou noir de ce rapport qui soulignant la disparition du cadre juridique du secteur n’en esquisse aucune correction dans ses propositions.

Soumis peut-être à la même ambigüité et influencé par sa proximité avec l’association FondaMental dont il est administrateur, le sénateur en viendrait à contredire sa critique introductive sur l’excès des théories neurologiques pour expliquer les troubles mentaux, puisqu’il regrette ensuite la disparition des neuropsychiatres, vante les avancées de la recherche de FondaMental sur la place de la vitamine D dans la schizophrénie et allègue de « l’erreur manifeste » des psychiatres ayant utilisé la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme. Certains excès de la psychiatrie biologique, l’influence marchande de l’industrie pharmaceutique dans la redéfinition des pathologies, les conséquences dommageables pour la santé publique d’une médicalisation trop prononcée de la psychiatrie sont alors vite oubliés dans cet état des lieux.

Roger Gentis pouvait bien affirmer que « la psychiatrie doit être faite et défaite par tous », il serait temps que les rapports parlementaires cessent de traiter la psychiatrie par le petit bout de la lorgnette et tirent les enseignements de ce que la Cour des Comptes soulignait dans son bilan du plan Psychiatrie et Santé Mentale 2005-2008 : depuis la circulaire de 1960 sur le secteur, les réformes sanitaires dont la loi HPST n’est pas la moindre ont toutes lissé les spécificités de la psychiatrie en diluant son organisation dans le système général, jusqu’à faire disparaître du Code de la Santé Publique son outil de soins que constitue la sectorisation psychiatrique, à laquelle font référence pourtant tous les intervenants, sans autre modèle alternatif cohérent pour assurer les principes toujours valorisés de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale.

La supposée résistance des professionnels aux changements n’a pas empêché le précédent gouvernement de mettre en œuvre la réforme très contestée des soins psychiatriques sans consentement, ni la loi HPST de s’appliquer à la psychiatrie comme aux autres disciplines, en dépit des annonces du rapport Larcher, signe de la volonté politique de ne pas tenir compte des spécificités de la psychiatrie pourtant réelles en matière d’organisation territoriale, d’outils d’évaluation, de mode de financement, de la place des soins sans consentement au regard des missions de santé publique, des relations avec la justice, etc.

Plutôt que d’égratigner les professionnels sur leurs divergences théoriques supposées assez puissantes pour expliquer l’absence d’avancée de la politique de santé mentale, il serait temps d’engager un vrai chantier de politique publique sur le sujet, englobant tous les domaines sanitaires et juridiques dans lesquels il est fait appel à la psychiatrie.

On peut remercier le sénateur Milon de considérer que les troubles psychiques et leurs soins méritent d’être hissés à hauteur des enjeux majeurs de santé publique, puisqu’il propose de les faire figurer dans la prochaine loi de santé publique annoncée. Mais leur importance n’est pourtant pas suffisante à ses yeux pour que la santé mentale fasse l’objet d’une loi d’orientation spécifique, sans doute parce qu’il se refuse à reconnaitre une spécificité à la psychiatrie.

Face à l’ambition affichée de faire de la psychiatrie française une médecine de pointe et au rappel de l’importance de l’organisation territoriale en psychiatrie, certaines propositions telles que la mise en place de « Case manager » non médecins ou le développement de réseaux de soins dans un rapport qui est dénué d’orientations législatives explicites, font alors figure de gadgets.

L’immense majorité des professionnels publics et privés restent attachés aux principes du secteur psychiatrique. Devant le doute manifeste exprimé quant à cette cohésion, la proposition n°2 de mener une concertation nationale avec les praticiens et usagers pour « la prochaine loi sur l’accès aux soins », a plutôt des accents d’oraison funèbre pour le secteur, tant l’absence de fondement juridique est y soulignée sans que rien ne soit proposé pour y remédier.

Il serait pourtant raisonnable qu’en ce début d’année 2013, nos parlementaires chargés de missions envisagent bien l’avenir « du secteur », version Sénat, ou « de la psychiatrie » version Assemblée Nationale, plutôt que de presser son enterrement.