Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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La saisine

Le CCNE, saisi en date du 6 avril 2006, par le collectif “Pas de 0 de conduite”(1), s’est interrogé sur les implications éthiques des approches de prédiction à l’occasion de la détection de certains troubles du comportement chez le très jeune enfant.

Cette saisine met en cause une expertise collective de l’Institut National de la Recherche Médicale (INSERM) réalisée à la demande de la Caisse nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Indépendants (CANAM), en vue d’améliorer le dépistage, la prévention et la prise en charge du « trouble des conduites » chez l’enfant (2). Les auteurs de la saisine s’interrogent sur le bien fondé de la recommandation de procéder à un dépistage de ce trouble dès l’âge de 3-4 ans, en recherchant précocement des facteurs de risque d’évolution ultérieure vers des formes violentes de délinquance. Les auteurs de la saisine redoutent que ces données, à visée principalement préventive et médicale, puissent être utilisées non seulement à ces fins mais aussi à des fins prédictives et judiciaires. Ils s’interrogent sur les pré-requis méthodologiques, sur le choix des experts, sur l’imprécision, voire l’ambiguïté de la définition du « trouble des conduites » utilisée dans les travaux cités par l’expertise, ainsi que sur les risques d’une démarche consistant à inscrire de telles données sur le carnet de santé, conduisant à une stigmatisation morale du comportement de jeunes enfants, en les affligeant d’une « marque » qu’ils risquent de conserver toute leur vie.

L’expertise comporte une méta-analyse (synthèse de publications scientifiques et médicales internationales sur un sujet donné) des études disponibles sur les signes précoces d’apparition du trouble des conduites chez de jeunes enfants et passe en revue les éventuels facteurs prédictifs d’un risque d’évolution ultérieure vers la délinquance. L’expertise reprend la définition du “trouble des conduites” des classification DSM4 et CIM10 (3), fondée sur un ensemble de symptômes concernant la répétition et la persistance de comportements susceptibles de porter atteinte aux règles sociales, aux droits fondamentaux d’autrui et de conduire à des formes violentes de délinquance.

Elle conclut par des recommandations sur la possibilité de réduire cette évolution par le dépistage des facteurs de risque et leur inscription sur le carnet de santé de l’enfant pour en assurer la prévention et la prise en charge.

Réflexions du CCNE

Les conclusions du rapport et leurs applications éventuelles, parce qu’elles confondent facteurs de risque et relations de causalité en s’appuyant sur une approche linéaire, donc réductrice des comportements humains, soulèvent plusieurs problèmes éthiques :

1. Sur le plan épistémologique : l’ambiguïté de la définition du « trouble des conduites » :

Il convient de souligner l’ambiguïté de la définition selon le DSM4 et la CIM10 du « trouble des conduites » car elle tend à occulter les frontières entre pathologie et délinquance, entre démarche médicale et démarche judiciaire. Dans son avant ¬propos, le rapport d’expertise relève bien initialement cette ambiguïté (“La question se pose donc de savoir comment se situe le trouble des conduites au sein du phénomène social qu’est la délinquance”), mais pour ne plus ensuite y revenir ni en tenir compte. La Synthèse du rapport indique ainsi : “Le terme de ‘trouble des conduites’ exprime des comportements dans lesquels sont transgressées les règles sociales. Ce trouble se situe donc à l’interface et à l’intersection de la psychiatrie, du domaine social et de la justice. Historiquement, depuis le « criminel-né » de Lombroso, le trouble des conduites de l’enfant pose la question des frontières entre responsabilité et culpabilité ainsi qu’entre loi et médecine ». En toute logique, une telle constatation aurait dû conduire à faire appel à des experts dans le champ des sciences humaines et sociales.

Un second problème épistémologique est lié à la nature très différente des comportements considérés comme des symptômes et des critères diagnostiques du « trouble des conduites ». Peuton, sans s’interroger plus avant, considérer d’emblée comme allant de soi que des crises de colère d’un enfant de 3-4 ans constituent des symptômes précoces permettant de prédire une évolution linéaire 10 à 15 ans plus tard vers des conduites violentes (viol, vol à main armée, etc. dus à une même causalité de nature biologique ?

La tentation de réduire, classer et hiérarchiser l’ensemble des dimensions de la complexité des comportements humains à l’aide d’une seule grille de lecture, et de s’en servir pour prédire l’avenir des personnes est une tentation ancienne. Les anthropologues de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème pensaient tout lire de l’identité et de l’avenir d’une personne par la phrénologie, l’étude du relief du crâne. Certains pensent aujourd’hui pouvoir tout lire de l’identité et de l’avenir d’un enfant par l’étude de son comportement, de la séquence de ses gènes, ou par l’analyse en imagerie de ses activités cérébrales… L’histoire des sciences nous révèle la vanité de tenter de réduire à tel ou tel critère la détermination de l’avenir d’une personne. Une grille de lecture unidimensionnelle constitue une “Mal-mesure” de l’homme (4).

Toute démarche de recherche est toujours tentée ou menacée par la confusion entre causalité et corrélation. Le rapprochement de quelques critères apparemment hautement signifiants par leur proximité peut faire croire de façon erronée à un rapport de causalité. Si les exemples biologiques de cette fausse causalité sont innombrables en médecine, les études de comportement sont encore plus enclines à cette confusion. A partir de celle-ci une démarche de prévention individuelle dénuée de sens peut être construite à partir d’une prédiction statistique seulement probabiliste.

D’autre part, le rapport indique – mais sans en tenir véritablement compte – une notion importante : la survenue des symptômes précoces du « trouble » chez l’enfant ne serait pas corrélée au niveau socio-économique et culturel de la famille, survenant à la fois au sein de familles aisées et de familles défavorisées. En revanche, une série d’études indique clairement qu’une grande proportion des adultes jeunes et des mineurs emprisonnés ont eu une enfance défavorisée sur les plans socio-économique, culturel et éducatif (5). La tendance du rapport d’expertise à attribuer à des causes génétiques ou à des prédispositions cérébrales, de nature neurobiologique, un rôle prépondérant dans l’évolution future vers des formes violentes de délinquance apparaît alors résulter plus d’un postulat, et d’une pétition de principe que d’une prise en compte de l’ensemble des données disponibles. Les facteurs de risque sociaux ou environnementaux apparaissent en effet comme au moins aussi déterminants pour les comportements ultérieurs que les facteurs génétiques, neurobiologiques ou psychologiques individuels de l’enfant.

2. Sur le plan scientifique, la place de l’environnement dans la genèse des comportements a-t-elle été suffisamment prise en compte dans le rapport de l’INSERM ?
Le rapport des experts indique que la part d’héritabilité du « trouble des conduites » serait de 50 %, et que cette héritabilité serait de nature génétique. Il ne s’agirait donc plus maintenant que d’identifier chez les enfants les séquences génétiques en cause dans le développement de ce « trouble »…

L’un des principaux arguments retenus par le rapport d’expertise en faveur d’une hérédité génétique du « trouble des conduites » est fondé sur une interprétation traditionnelle de publications scientifiques rapportant des études de jumeaux. Le degré de concordance du “trouble” chez les vrais jumeaux, donc génétiquement identiques, est différent de celui des jumeaux non génétiquement identiques pourtant soumis durant la grossesse au même environnement. Cette concordance est classiquement interprétée comme la preuve de l’existence d’une causalité génétique dominante. Or cette concordance ne signifie pas nécessairement qu’il existe des gènes spécifiques du trouble des conduites mais peut simplement traduire une réponse similaire à des facteurs exogènes liés à l’environnement maternel, comme le montrent des résultats obtenus dans des modèles animaux (cf annexe 1).

D’une manière plus générale, le rapport d’expertise méconnaît toute une série de travaux importants qui se développent depuis une dizaine d’années dans le cadre d’un domaine important de la biologie qu’est l’étude des relations entre gènes et environnement, qui constitue l’un des niveaux importants de l’étude biologique des relations entre inné et acquis. Ce domaine de recherche, qui connaît actuellement une évolution extrêmement rapide, révèle que l’environnement peut moduler, dès la période de développement embryonnaire, la façon dont sont utilisés les gènes.

3. Sur le risque de stigmatisation des enfants
Un risque de la recherche biomédicale, et de la pratique médicale, surtout dans des domaines qui modifient le regard que l’on peut porter sur une personne, et tout particulièrement sur un enfant, est d’exercer des effets néfastes sur ceux qu’elle croit simplement désigner de manière neutre et objective. Pour cette raison, il est essentiel, lorsque l’on dispose d’une information fiable sur l’état de santé de l’enfant – par exemple un diagnostic de maladie génétique – d’éviter toute attitude qui risquerait de stigmatiser l’enfant. On comprend que la plus extrême prudence est d’autant plus nécessaire que l’information dont on dispose est peu fiable. Des enfants de 3-4 ans, considérés (pendant combien de temps ?) comme des enfants « à risque » d’évolution vers des formes violentes de délinquance, ne risquent-ils pas d’être mis à l’écart et stigmatisés, d’être considérés comme des enfants « différents » et dangereux, et de se retrouver à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école en situation durable de perte de chance et exposés à des réactions d’exclusion ?

De nombreuses études indiquent qu’un regard négatif porté sur un enfant peut avoir des conséquences négatives sur ses capacités (annexe 2).

Une médecine préventive qui permettrait de prendre en charge, de manière précoce et adaptée, des enfants manifestant une souffrance psychique ne doit pas être confondue avec une médecine prédictive qui emprisonnerait, paradoxalement, ces enfants dans un destin qui, pour la plupart d’entre eux, n’aurait pas été le leur si on ne les avait pas dépistés. Le danger est en effet d’émettre une prophétie auto-réalisatrice, c’est-à-dire de faire advenir ce que l’on a prédit du seul fait qu’on l’a prédit.

Il y a des circonstances – et c’est le problème concernant le « trouble des conduites » – où la médecine peut être tentée de se substituer à la justice, en décidant de se consacrer à la prévention de la délinquance, et en oubliant que sa mission première est d’accompagner la personne souffrante. Et lorsque cette personne souffrante est un très jeune enfant qui présente des problèmes de comportement, la médecine doit d’abord le considérer comme un enfant en souffrance et en danger, qu’il faut accompagner, et non pas comme un enfant éventuellement dangereux – un futur délinquant – dont il faudrait protéger la société.

Le CCNE redit ici son opposition à une médecine qui serait utilisée pour protéger la société davantage que les personnes, et ce d’autant plus qu’il s’agit de très jeunes enfants.

4. Sur les rôles respectifs du corps médical et de tiers
Dans les démarches de suivi des comportements humains, l’implication d’acteurs non médicaux (enseignants, parents, autorité administrative) peut être souhaitable, mais à condition que leur rôle se limite à contribuer à l’évaluation des moyens de prévention et n’implique pas une information sur le diagnostic, pour lequel le secret médical doit rester la règle.

L’administration de médicaments psychotropes ou anxiolytiques à de jeunes enfants, dans un souci de traitement symptomatique et de stratégie préventive est une facilité à laquelle notre société se doit de ne pas céder. En dehors des mesures d’accompagnement social et sanitaire citées plus haut, il n’existe pas actuellement de stratégie thérapeutique validée susceptible de réduire le risque d’une violence liée à un trouble de conduite : l’administration de traitements psychotropes ou anxiolytiques à de très jeunes enfants risque de simplement masquer ces troubles du comportement, et donc occulter les symptômes sans soigner le malaise de fond qui les conditionne.

5. Sur l’intérêt et les limites des méta-analyses
Les synthèses de publications scientifiques et médicales internationales –ou méta-analyses – sont extrêmement utiles pour faire le point sur les connaissances dans un domaine précis à un moment donné. Elles sont l’une des bases de la médecine fondée sur les preuves, mais elles ne peuvent être acceptées sans un regard critique car elles font elles-¬mêmes l’objet de recherches et sont en perpétuelle évolution. Il faut prendre en compte plusieurs écueils possibles.

D’une part, comme mentionné plus haut, il est important de ne pas se contenter de faire le bilan des publications scientifiques et médicales internationales dans un champ de recherches restreint : il convient aussi de s’interroger sur la signification de ces publications en prenant en compte les avancées de la connaissance dans d’autres domaines (l’exemple de l’importance des effets de l’environnement chez les vrais jumeaux en est une bonne illustration). Pouvoir porter un tel regard critique et multidisciplinaire requiert une composition suffisamment multidisciplinaire d’un groupe d’experts.

Enfin, une expertise fondée uniquement sur une méta-¬analyse risque de donner une vision passéiste et de méconnaître des avancées récentes dans le domaine même qui est étudié.

Ainsi, s’il est essentiel de faire en permanence des bilans de l’état des connaissances, ces bilans doivent être considérés comme un point de départ à la réflexion, à la pratique, et à la recherche, et non comme un état définitivement stabilisé du savoir.

6. Sur le choix des experts
La saisine remet en cause le choix des experts, et demande sur ce point l’avis du CCNE. L’absence ici d’expertise contradictoire et d’un questionnement initial sur le sens même de la question pose un problème éthique. La sélection des experts, la formulation des questions qui leur sont posées, et les méthodes auxquelles ils recourent ne sont pas sans incidence sur la nature de leurs conclusions. En l’occurrence, on peut regretter, comme l’ont d’ailleurs déjà fait des membres de l’Inserm lors d’un colloque sur « le trouble des conduites » (6) organisé par l’institut le 14 novembre 2006, le choix d’un groupe d’experts représentant presque tous la seule interface de la biologie et de la psychiatrie. Or la problématique proposée par la CANAM comporte des enjeux multiples et des dimensions à la fois scientifiques, médicales, humaines, psychologiques et sociologiques. Aborder des thèmes aussi complexes que les « attitudes déviantes », « égoïstes » ou « attentatoires aux droits d’autrui » requiert des outils d’interprétation adaptés et le concours de psychologues et de spécialistes des sciences humaines et sociales. Or le groupe d’experts choisi n’était pas représentatif de cette exigence pluridisciplinaire. Ces considérations, qu’a déjà développées le Comité d’éthique de l’Inserm, ne concernent évidemment pas le seul rapport visé par la présente saisine ; elles s’appliquent très généralement à toutes les expertises collectives portant sur des sujets de société. Mais elles renforcent les réserves éthiques exprimées par le CCNE à l’égard des conclusions du rapport.
L’évolution récente de la procédure d’expertise collective à l’Inserm, annoncée lors du récent colloque de 2006 sur le trouble des conduites prend en compte la nécessité de la consultation préalable du Comité d’Ethique de l’INSERM sur le choix des experts.

En conclusion

Le rapport a tendance à confondre facteur de risque et causalité efficiente, et repose sur un postulat qui privilégie l’inné (facteurs génétiques, prédispositions cérébrales…) aux dépens de l’acquis (facteurs environnementaux économiques, sociaux, culturels, éducatifs, familiaux…). Suggérant une approche linéaire et réductrice des comportements humains, il soulève plusieurs problèmes épistémologiques et éthiques.

Il semble exister un consensus assez général sur le fait que, en dehors de certaines maladies et handicaps graves, la plupart des troubles du comportement de l’enfant sont liés à des facteurs environnementaux ou familiaux davantage qu’à des facteurs génétiques ou somatiques repérables. L’identification d’éventuels facteurs de cette nature, qui pourraient se révéler prédictifs du caractère persistant ou non de ces traits de comportement, et de l’évolution éventuelle vers des comportements de délinquance violente, demeure aléatoire. Dans ces conditions, une prévention fondée sur le dépistage d’éléments prédictifs de ce type, avec inscription sur un carnet, n’est pas justifiée par le bénéfice hypothétique qu’on pourrait en attendre. Ses avantages supposés demeurent incertains, et en tous cas minimes, au regard des risques éthiques réels d’imposer à un enfant une stigmatisation précoce, difficilement réversible et susceptible de renforcer sa détresse au lieu de la réduire.

Le CCNE n’en est pas moins convaincu de l’extrême importance des risques psychologiques auxquels sont exposés un nombre croissant de jeunes enfants ; maîtriser ces risques représente un enjeu majeur de santé publique. Comme le soulignent plusieurs études, d’ailleurs citées par le rapport de l’Inserm (“les facteurs familiaux […] et le dysfonctionnement au sein de la famille sont prédominants”), la précarité de l’environnement du jeune enfant, son exposition à des violences physiques ou psychiques, ou encore le spectacle, direct ou à travers les media, de telles violences, la crise de la transmission des valeurs, constituent les facteurs les plus importants du risque de dérive comportementale chez l’adolescent.

Ces considérations recoupent celles d’autres rapports récents (7) qui préconisent des mesures de fond, en particulier :
– Développer un meilleur accueil et un meilleur accompagnement psychologique et sanitaire des parents en situation difficile : mères défavorisées (dont plusieurs études montrent qu’elles sont beaucoup moins aidées et moins bien prises en charge que dans la population générale, grossesse adolescente, situation d’addiction, violences passées…), par une plus grande coordination des professionnels médico-sociaux, avant, pendant et après la naissance ;
– Offrir aux enfants vivant dans des environnements économiquement, culturellement ou affectivement précaires un soutien complémentaire aux structures existantes (crèches préventives, jardins thérapeutiques).

Recommandations

Pour ces raisons, le CCNE :
– insiste sur la nécessité de marquer nettement la différence entre prévention et prédiction ; et notamment quand cette prédiction est de nature probabiliste et n’a pas de valeur individuelle.
– rappelle que la personne souffrante est en l’occurrence l’enfant ; sa protection doit être considérée comme la priorité.
– attire l’attention sur les problèmes éthiques graves que pourrait causer une interprétation hâtive et une application inadéquate des études citées dans le rapport de l’Inserm, qui préconisent une médicalisation de problèmes alors qu’ils relèvent surtout de facteurs liés à l’environnement social, économique ou culturel. La plus grande prudence s’impose devant la tentation risquée de recourir trop fréquemment aux traitements psycho-pharmacologiques. Ces traitements comportent par eux¬-mêmes des risques de dépendance encore mal évalués, et peut-être des risques pour le développement ultérieur de l’enfant. Rien ne démontre que l’indication de tels médicaments ait un sens en l’absence d’autres mesures d’accompagnement.
– considère comme injustifiée la communication de données biologiques ou médicales à des représentants institutionnels, et plus généralement d’éventuelles exceptions aux règles du secret médical, qui pourraient aboutir à stigmatiser des sujets sur des critères dont le lien avec des comportements ultérieurs n’est pas établi. La réduction d’une personne à des paramètres fragmentaires comporte toujours des risques d’interprétation arbitraire et d’exclusion ; la création d’un carnet de santé contenant de telles informations est de nature à favoriser cette stigmatisation.
– souligne l’importance majeure d’une prévention effective fondée sur la correction de facteurs environnementaux qui concourent à la survenue de souffrance psychique ou de troubles des comportements jugés déviants, et recommande vivement la mise en œuvre rapide de mesures de prévention validées, et en particulier la généralisation à l’ensemble de la population concernée (et en particulier à la population en situation précaire) de la protection parentale et infantile ;
– estime très souhaitable que tous les acteurs de la prévention – parents, pédiatres, psychologues, pédopsychiatres, enseignants, assistantes maternelles, conseillers pédagogiques, éducateurs, médecins et infirmières scolaires – soient associés à la conception et au suivi de telles mesures. Le CCNE insiste sur l’importance de favoriser le développement de la pédopsychiatrie et d’augmenter en particulier la possibilité d’accès à des pédopsychiatres.
juge positive la proposition de nommer un coordinateur chargé de veiller à la bonne collaboration des intervenants et au caractère interdisciplinaire de leur activité ;
– estime important de mettre en place des évaluations des méthodes de prise en charge permettant d’adapter au mieux l’accompagnement des enfants.

Pour conclure, le CCNE ne peut pas approuver une volonté d’inscrire la médecine préventive dans le champ de la répression, qui conduit à considérer l’enfant comme un danger, et le fait passer de facto du statut de victime à celui de présumé coupable. Une approche visant à prédire une évolution vers des formes violentes de délinquance à partir de troubles précoces du comportement n’est pas pertinente sur le fond en l’état actuel des connaissances et doit donc être proscrite, les paramètres disponibles n’étant pas suffisamment significatifs pour permettre de le faire sans échapper aux préjugés sociaux ou idéologiques toujours présents dans nos sociétés. Le développement d’une réflexion sur la différence entre prédiction, accompagnement, et prévention devrait être encouragé dans tous les secteurs de la société, en particulier ceux qui sont impliqués dans la prise en charge de l’enfance.

Annexe1

Ces études comparent le degré de concordance du trouble chez des « vrais » jumeaux, génétiquement identiques et chez des jumeaux non génétiquement identiques. Le développement embryonnaire étant dans les deux cas simultané, et donc soumis pendant la grossesse aux mêmes facteurs liés à l’environnement, une concordance supérieure chez les vrais jumeaux est classiquement interprété comme la preuve de l’existence d’une causalité d’origine génétique, c’est-à-dire d’un rôle direct de certaines séquences génétiques particulières de l’enfant dans le développement du trouble.
Néanmoins, le fait que deux enfants génétiquement identiques aient plus souvent une caractéristique donnée que deux enfants non génétiquement identiques ne signifie pas obligatoirement qu’ils possèdent des gènes « de » cette caractéristique, en l’occurrence des gènes directement impliqués dans le développement du « trouble des conduites ». En effet, si deux jumeaux sont génétiquement identiques, une même modification de leur environnement pendant leur développement intra-utérin, lors de l’accouchement, ou dans la période qui suit leur naissance, – une hypoxie (un manque d’oxygène), une hormone maternelle, un produit toxique … – aura une plus grande probabilité d’entraîner un même effet, qui pourra éventuellement avoir une même traduction après la naissance, sans qu’aucun de leurs gènes ne soit impliqué de manière causale dans cette traduction autrement qu’en termes de similarité de seuil de réponse à une modification de l’environnement. De plus, des travaux récents réalisés dans des modèles animaux indiquent que dans les cas où des séquences génétiques particulières seraient impliquées dans de tels effets, il pourrait s’agir, de manière apparemment paradoxale, de certaines séquences génétiques de la mère. Ces séquences génétiques exerceraient indirectement une influence sur le développement cérébral des jumeaux vrais durant la grossesse, ou lors de l’accouchement, par exemple en modulant la quantité de certains neuromédiateurs ou hormones libérés par la mère8. Ces séquences génétiques peuvent donc être absentes chez les enfants …

En d’autres termes, même dans les cas où la chaîne de causalité implique des facteurs génétiques, des recherches récentes indiquent que cette chaîne de causalité n’est pas aussi facile à interpréter que le suggèrent les notions classiques en matière d’hérédité.

Le rapport d’expertise insiste sur l’importance des enseignements que l’on pourrait tirer de l’étude des modèles animaux. Pourtant, le rapport omet de mentionner les résultats récents, obtenus dans des modèles animaux, concernant le rôle de l’épigénétique dans les comportements. Différentes formes d’hérédité épigénétique concernant certains comportements ont en effet été récemment mises en évidence dans lesquelles c’est l’environnement qui modifie à chaque génération, chez le nouveau-né – et même chez le fœtus – la façon dont les gènes sont utilisés au cours du développement. Dans ces formes d’hérédité – ou plutôt de réémergence de certains traits de comportements à travers plusieurs générations – ce n’est pas la séquence particulière des gènes qui est en cause, mais des effets de l’environnement sur la manière dont certaines cellules du corps utilisent leurs gènes.
« L’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent » dit le généticien Richard Lewontin « et chaque organisme vivant est à la fois le lieu et le produit de ces interactions »9. On ne peut se contenter de ne s’intéresser qu’à l’intérieur où à l’extérieur sans réaliser qu’ils sont indissociablement liés. Et cela est d’autant plus vrai quand il s’agit de la complexité du développement de la plupart des comportements humains, où les dimensions culturelles, familiales, sociales, psychologiques, scolaires, anthropologiques, juridiques, économiques, … jouent un rôle essentiel.

Annexe 2

Ainsi, par exemple, une étude récente réalisée en Inde a consisté à demander à des enfants de 11-12 ans, issus soit de « haute » caste soit de « basse » caste, de résoudre un problème. Leur caste d’origine n’avait statistiquement aucune influence sur la qualité de leurs résultats. En revanche, lorsque le test était pratiqué après que leur caste d’origine ait fait l’objet d’une annonce, les résultats des enfants issus de basse caste étaient significativement plus mauvais10. Ainsi, le simple fait d’imaginer l’influence négative qu’une information risque d’avoir sur le correcteur a comme conséquence pour l’enfant d’augmenter la probabilité qu’il échoue à son test.

Membres du groupe de travail :
Jean-Claude Ameisen (rapporteur)
Claude Kordon (rapporteur)
Pierre Le Coz
Alain Grimfeld
Sadek Béloucif
Chantal Deschamps
Jean-Antoine Lepesant
Marie-Thérèse Hermange

Personnalités auditionnées :
Les signataires du collectif « Pas de 0 de conduite pour les enfants de
3 ans »

1 Collectif «Pas de 0 de Conduite pour les enfants de 3 ans » regroupant psychologues, pédopsychiatres et représentants d’associations, sous la signature des Pr Roland Gori (président du séminaire inter universitaire d’enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse), Gérard Schmit (président du collège de pédopsychiatrie de la fédération française de pédopsychiatrie), Pierre Delion et Bernard Golse (chefs de service de pédopsychiatrie), les Dr François Bourdillon (présidente de la société française de santé publique), Christine Bellas Cabane, (présidente du syndicat national des médecins de PMI), Pierre Suesseur, (vice-président de ce syndicat) et Dominique Ratia Armengol (vice-président du syndicat national des psychologues pour la petite enfance).
2 http://ist.inserm.fr/basisrapports/troubleconduites.html
3 DSM¬4: “diagnostic and statistical manual of mental disorders” de l’association américaine des psychiatres; CIM¬10: “classification internationale des maladies” de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).
4 Stephen Jay Gould. La Malmesure de l’homme (1981). Le livre de Poche, 1997. Et La Structure de la Théorie de l’Evolution (2002). Gallimard, 2006.
5 Voir l’Avis n°94 du CCNE, La Santé et la Médecine en Prison.
6 Voir http://www.inserm.fr/fr/questionsdesante/rapports/trouble_conduites.html; et un résumé des interventions dans Pour La Recherche, Bulletin de La Fédération Française de Psychiatrie n° 51, Décembre 2006, pp 2¬7
7 Rapport « Périnatalité et Parentalité » remis en février 2006 au Ministre délégué à la Sécurité Sociale, aux Personnes âgées, aux Personnes handicapées et à la Famille par le sénateur M.T. Hermange.
8 Voir par exemple Cote F et al. Proc Natl Acad Sci USA (2007)104:329¬334 ; et Tyzio R et al, Science (2006) 314 :1788¬1792
9 Richard Lewontin. La triple hélice. Les gènes, l’organisme, l’environnement (2000). Le Seuil, 2003.
10 Hoff K, Pandey P. World Bank Policy Research Working Paper. Report n° 3351. Washington DC : World Bank, 2004