Le pseudo plan santé outre mer de Mme Bachelot
Après le Président de la République lui-même, flanqué de la Secrétaire d’Etat à l’outremer fraîchement nommée, venus faire la promotion des Etats Généraux de l’outremer, les Antilles viennent d’accueillir Mme Bachelot. Certains pourraient se féliciter de cet apparent nouvel intérêt de l’état pour ses départements des Amériques… à condition de se satisfaire d’ingurgiter les dossiers de presse et les discours lénifiants diffusés à cette occasion. Mais dès qu’on va plus loin, et qu’on confronte les besoins de la population et les revendications des professionnels aux réalités concrètes des projets gouvernementaux, la déception est inévitable.
Les écarts sont immenses entre les attentes des uns et les engagements des autres, entre les intentions affichées et les actions financées.
Des constats accablants et convergents
Le supposé plan santé pour l’outre mer déballé des cartons de la Ministre de la santé est un exemple du genre. Les importants retards des collectivités d’outremer, leurs spécificités et les inéquités qui en résultent sont de notoriété publique, de même que les solutions à y apporter, explicitées par la CPH et un large collectif rassemblant tous les professionnels de la santé (voir plateforme commune). Si on avait encore le moindre doute, il suffisait de parcourir les conclusions du rapport de la mission conduite par le sénateur Larcher (mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer), déposées le 7 juillet , qui affirme : « En matière de santé publique, la mission souligne l’urgence de mettre en place le « Plan santé outre-mer » que le Gouvernement a annoncé il y a plus d’un an maintenant, selon deux axes majeurs : combler les retards, à la fois en équipements et en personnels et adapter la politique de santé aux spécificités des DOM, notamment en adaptant les formations médicales et paramédicales pour favoriser la polyvalence des professionnels, en organisant différemment le système de soins, par exemple par le développement de la télémédecine, en améliorant le financement des établissements de santé et des professionnels, pour mieux prendre en compte les frais de structure, par exemple ceux liés au climat ou au risque sismique, en développant une politique de prévention volontariste et adaptée, en luttant contre la mortalité infantile, nettement plus élevée dans les DOM, et en développant la coopération régionale et internationale, tant en matière de recherche que d’accès aux soins ». Ce rapport venait d’ailleurs juste après celui du Conseil Economique et Social, sur « L’offre de santé dans les collectivités ultramarines », présenté le 24 juin 2009 par Mme Jacqueline André-Cormier, qui décline en 284 pages les disparités dont sont victimes les habitants des anciennes colonies départementalisées, et propose des améliorations prioritaires (voir encadré). Face à l’avalanche des preuves concordantes, on ne peut que constater l’indigence du plan présenté par Mme Bachelot, destiné à distraire la population et les professionnels des véritables enjeux.
Une méthode sourde et aveugle
Sur la forme, Mme Bachelot annonce un plan élaboré grâce à une « large concertation »… Si ce n’est pas un mensonge d’état, cela illustre l’étrange conception de la concertation du gouvernement ! La réalité c’est que le Ministère (sa Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins, pour être précis) a diffusé un document en mai 2008, supposé déboucher sur un plan en juillet 2008 après discussion. C’est donc dans la précipitation que 2 réunions ont eu lieu en juin 2008 : l’une avec quelques représentants médicaux des hôpitaux (précisément 7 médecins dont 4 du CHU), l’autre avec la Fédération Hospitalière Antilles-Guyane, pour amender et enrichir ces propositions. Et puis le silence s’est installé : aucun plan n’a été arrêté en juillet 2008, et aucune réponse n’a été donnée à toutes les contributions adressées par les acteurs de terrain. L’auteur de cet article, peut témoigner que les courriers et dossiers qu’il a contribué à rédiger n’ont obtenu aucune réponse du Ministère. Il en a été de même des amendements présentés au Sénat dans le cadre de la loi HPST, présentés notamment par les sénateurs de l’outremer et de la gauche, et dont aucun n’a été retenu, parfois sans même être examiné par la représentation nationale… Et quand Mme la Ministre s’est finalement décidée à venir présenter en juillet un plan qui avait en fait été arbitré directement par les conseillers Elyséens, elle n’a pas daigné le communiquer aux organisations syndicales, qu’elle n’a pas invitées spontanément, et qui ont dû quasiment s’imposer… La réalité de la méthode de ce plan santé outre mer, c’est donc l’autisme du Ministère, qui n’a su que répéter de façon stéréotypée une bonne part de ses a priori, tout en méprisant les contributions émanant du terrain, et tout en écartant toute forme de réel dialogue. Une fois de plus, la « concertation » n’a été qu’un monologue médiatisé !
Des propositions plus qu’insuffisantes
Mais au-delà de la forme, le fond est lui-même consternant. L’analyse du plan annoncé montre en effet la juxtaposition d’éléments hétérogènes, avec :
– Le rappel d’actions déjà engagées, comme la mise aux normes des établissements hospitaliers… qui étaient de toutes façons obligatoires en raison des risques majeurs encourus… sauf si on considère que les guadeloupéens n’ont pas droit à la sécurité ! Et quand on annonce 46 millions de travaux, il faut noter que l’aide de l’Etat ne porte que sur 50% du montant…
– Des intentions floues. Ainsi si on confirme la nécessité de construire un nouveau CHU de Pointe-à-Pitre, là aussi imposé par l’obligation de sécurité, on oublie de préciser qu’il sera plus petit que l’actuel (diminution significative du nombre de lits). Et on ne s’engage pas sur son financement, estimé entre 300 et 500 millions dans le plan, alors que les projections actuelles se montent à 650 millions… Qui devra finalement payer la différence ? Mais le CHU n’est pas le seul établissement de Guadeloupe et on passe sous silence les problèmes de Marie-Galante, de la Basse-terre, de la santé mentale ou des cliniques privées, tandis qu’on survole la complexité des besoins de la Guyane.
– quelques promesses qui étaient attendues : la formation de plus d’étudiants dans le 1° cycle d’études médicales, un effort pour la drépanocytose. On peut s’en féliciter, tout en remarquant qu’elles ne s’accompagnent pas de chiffrages très précis (ni en nombre d’étudiants, ni en budgets)
– divers objectifs qui ne s’accompagnent d’aucun moyen. : leur réalisation n’est donc pas garantie. Ainsi en est-il des objectifs de formation, ou d’accompagnement des étudiants, de la recherche, ou de la continuité territoriale.
– Des mesures dilatoires : le grave problème du financement adapté des établissements, se solde par quelques « mesurettes » pour le CHU et par la prévision d’études à faire ou de chantiers expérimentaux à conclure! Le plan n’apporte aucune réponse précise sur le fond et pour l’ensemble des établissements… et ne fixe aucun calendrier. Les déficits hospitaliers ont encore de l’avenir en Guadeloupe !
– De graves insuffisances, comme en matière de démographie médicale, où le manque de médecins ne sera pas solutionné par les timides annonces faites. Le plan prévoit à peine 4 postes d’assistants pour les 2 CHU des Antilles, et renvoie l’attractivité de la carrière hospitalière à l’application du nouveau cadre de contractuel prévu au plan national. Nous sommes là dans l’aveu de l’absence de plan pour améliorer la médicalisation des Antilles : au lieu d’un dispositif motivant visant à des solutions stables, on en appelle à la précarité et à l’instabilité, aux chasseurs de primes, sans aucune mesure spécifique pour combler nos immenses retards. Et tout ceci dans un cadre national largement décrié par la profession, qui n’a pas fait ses preuves, et ne favorise en rien notre région. Bref, c’est là qu’on a la confirmation que les Antilles sont condamnées à la pénurie… avec déjà 30% de médecins en moins que la moyenne nationale, une prévision de baisse d’encore 10% dans les 20 prochaines années, et des spécialités sinistrées comme la radiologie ou la psychiatrie (deux fois moins de praticiens que la moyenne nationale… mais deux fois plus d’internements !)
– de terribles lacunes : on n’y parle peu des problèmes de santé… Entre autres, les personnes âgées ou handicapées, les troubles psychiatriques, les toxicomanies, le SIDA, les cancers, les soins aux détenus, etc, passent à la trappe… Pas la peine de chercher quoi que ce soit en matière de prévention ou de santé publique : ces aspects fondamentaux de la santé sont renvoyés aux conclusions des états généraux… qui ne les abordent pas ! Les carences du pseudo plan de santé Bachelot/Sarkozy confinent là à une position insultante pour les citoyens de l’outremer.
Avec le plan de santé outre mer qui vient d’être parachuté par la Ministre de la santé en voyage éclair, une fois de plus le gouvernement orchestre à grand bruit et à grands frais la médiatisation d’annonces dont le contenu concret se révèle décevant. On annonce un plan de santé mais on ne parle pas de santé… On décline des objectifs mais on ne garantit aucun moyen… On communique mais on ne solutionne pas grand chose sur le fond et dans la durée… Et surtout on reste sourd aux besoins, aux attentes de la population. Quand l’Etat n’assure pas ses missions régaliennes de sécurité et d’équité, il sème la déception et la frustration. Quand il n’assure pas le dialogue permanent et respectueux, il prépare et arme l’escalade des conflits, sa surdité imposant malheureusement d’élever le ton… Est-ce vraiment ce qui est souhaité ?