La loi pénitentiaire débute fort la section relative à la santé puisqu’elle annonce que le secret médical doit être respecté. Assurer le secret médical ? Et plus encore le secret de la consultation, ce qui est impossible en prison. Tous les déplacements en prison sont connus et il ne peut en être autrement. Pourquoi affirmer ce que l’on ne peut pas assurer ? Pourquoi confier hypocritement à l’administration pénitentiaire une mission impossible ? Ou alors n’est-ce pas finalement une
affirmation qu’il faut renverser en son contraire : bien affirmer pour dire ce que l’on ne peut pas faire. Ah ! Ces psys « tordus » ! Quant à la qualité de l’hôtellerie : « Elle assure un hébergement, un accès à l’hygiène, une alimentation et une cohabitation propices à la prévention des affections physiologiques ou psychologiques » (art. 46 dernier alinéa).
Le législateur fonctionne sur le mode du déni.
Passons aux « choses sérieuses, un point important a été longuement discuté et débattu dans les différentes assemblées. Au moment de la discussion, il s’agissait de l’article 20 bis qui est devenu dans la version définitive de la loi l’article 48.
Les avatars de l’article 20 bis/48
L’article 20 bis nouveau proposé par les sénateurs et absent du projet de loi du Gouvernement
était ainsi libellé :
Article 20 bis (nouveau)
Un acte dénué de lien avec les soins, la préservation de la santé du détenu ou les expertises médicales ne peut être demandé aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral.
La formulation était ambigüe notamment l’allusion aux expertises mais l’objectif était de préserver le secret médical. Les députés ont ensuite supprimé l’article 20 bis principalement en argumentant qu’il risquerait de renforcer le secret médical et conforterait les médecins dans leur refus de participer aux controversées commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) où pourtant ne doivent être que partagées des informations subtilement qualifiées d’opérationnelles (Enième rappel de l’article 54 du code de déontologie médicale : « ….Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris »).
Au cours de la discussion de la commission paritaire mixte, l’article 20 bis a été rétabli avec une nouvelle écriture bien plus satisfaisante et presque sans ambiguïté (sauf pour la référence à l’expertise, voire infra) :
Article 20 bis
Ne peuvent être demandés aux médecins et aux personnels soignants intervenant en milieu carcéral ni un acte dénué de lien avec les soins ou avec la préservation de la santé des personnes détenues, ni une expertise médicale.
Les argumentations au cours des débats ont été les suivantes :
A l’article 20 bis (limitation des actes pouvant être demandés aux médecins et personnels soignants intervenant en
milieu carcéral), la commission a examiné une modification présentée par les membres socialistes et
SRC de la commission mixte paritaire tendant à prévoir expressément que les médecins et les personnels soignants intervenant en milieu carcéral ne peuvent être requis pour effectuer une expertise médicale ou un acte dénué de lien avec les soins ou la préservation de la santé du détenu.
M. Serge Blisko, député, a estimé que le personnel soignant ne devait pas être requis pour effectuer un acte qui ne relevait pas de ses missions et qui serait, en outre, susceptible d’altérer le lien de confiance (souligné par Socapsyleg) qu’il aurait pu nouer avec le détenu-patient. Pour cette raison, il a souhaité que le dispositif adopté par le Sénat et supprimé par l’Assemblée nationale soit rétabli dans une rédaction plus générale.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour l’Assemblée nationale, a estimé que cet amendement était satisfait par les dispositions de l’article 24 du texte.
M. Serge Blisko, député, a fait observer que l’article 24 ne concernait que les fouilles, alors que l’amendement proposé avait un champ d’application plus large.
M. Nicolas About, sénateur, a marqué l’attachement des médecins au dispositif proposé, car ils ne souhaitent pas être impliqués ou consultés pour un motif étranger à la préservation de la santé des patients (souligné par Socapsyleg).
M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat, a reconnu que l’objet de l’amendement était différent du dispositif très particulier prévu par l’article 24 concernant les fouilles corporelles. Il s’est fait l’écho des craintes du Gouvernement que ce dispositif n’aboutisse à priver l’administration pénitentiaire d’expertises médicales alors même que le nombre d’experts tend à diminuer. Il a également souligné que l’amendement proposé pourrait amener des médecins à refuser de participer aux commissions pluridisciplinaires, (souligné par Socapsyleg) alors même que leur concours y est précieux. Il a également attiré l’attention sur le fait que l’avis des médecins était indispensable lors du prononcé de mesures disciplinaires ou en vue d’un placement à l’isolement.
M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour l’Assemblée nationale, a estimé qu’il était essentiel de ne pas remettre en cause l’interdisciplinarité essentielle au bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, citant notamment la question de la prévention du suicide en détention.
M. Dominique Raimbourg, député, a considéré qu’un médecin traitant ne devait pas être requis pour réaliser une expertise médicale, mais que, pour autant, il était important de rappeler que les médecins participent à une mission de santé publique. Pour cette raison, il a proposé de modifier le texte proposé afin de faire référence à la préservation de la santé de l’ensemble des détenus.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice, s’est exprimée en faveur de l’amendement proposé, faisant observer que son champ d’application était plus large que la seule question des fouilles visée à l’article 24.
La commission a finalement adopté l’article 20 bis dans la rédaction rectifiée par les membres socialistes et SRC de la commission mixte paritaire (art. 48 dans la version définitive).
Certains psychiatres se sont interrogés à la suite de ce texte si cela impliquait une interdiction pour les psychiatres ou les psychologues exerçant en milieu pénitentiaire de pratiquer des expertises. Il est vrai que la rédaction peut ouvrir à interprétation.
La philosophie du texte consiste essentiellement à ne pas considérer les soignants en prison comme des experts de l’administration pénitentiaire. Par ailleurs, il est acquis qu’on ne peut être à la fois médecin traitant et médecin expert (Art. 105 du code de déontologie médicale : « Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un même malade… ») . Ou plutôt que la séquence possible est « interdite » : médecin traitant puis médecin expert ; alors que la séquence inverse : médecin expert puis médecin traitant est admise. Egalement, il n’est guère souhaitable de pratiquer des expertises dans l’établissement pénitentiaire où l’on exerce comme soignant (mais les exceptions sur ce point sont nombreuses et le débat très ouvert, si ce n’est polémique….).
Il est donc très probable que les psychiatres et les psychologues exerçant en milieu pénitentiaire continueront à être missionnés comme experts, d’autant plus qu’ils ont une compétence psycholégale (et osons même évoquer horresco referens une compétence criminologique clinique…) dont il n’y a pas d’intérêt à se priver, sans compter une démographie expertale en baisse (700 experts psychiatres il y a quelques années pour environ 400 praticiens actuellement).
La fin des accouchements dans des conditions indignes ? L’article 52
On se souvient des quelques scandales passés de femmes détenues ayant accouché menottées.
L’article 52 prévoit que les accouchements ou les examens gynécologiques doivent se dérouler sans entraves. Encore heureux. Les entraves sont les menottes aux chevilles. Difficile d’accoucher ou d’être examinée gynécologiquement avec des entraves… Evidemment, pourront dire certaines bonnes âmes sécuritaires, les césariennes sont toujours possibles. Et quid des menottes ?
Pourtant difficile de s’évader quand on accouche, même sans être menottée au lit.
On aurait aimé que tous les examens médicaux puissent se faire en l’absence du personnel pénitentiaire. Pas rare l’examen proctologique en présence du personnel pénitentiaire avec même une nouvelle fouille, avec toux à l’appui, à l’arrivée en détention… au cas probablement où un médecin complice aurait subtilement réalisé des dissimulations coupables.
Dommage que les médecins n’aient pas l’engagement systématique de refuser une consultation en présence du personnel pénitentiaire. (en milieu hospitalier s’entend car dans les UCSA et les SMPR, les consultations sont systématiquement confidentielles, enfin espérons-le).
La loi pénitentiaire plus sanitaire que la loi HPST
Il faut porter au crédit de la loi pénitentiaire une toute particulière considération pour la santé des détenus que la loi sanitaire HPST n’a pas eue. En effet, la loi pénitentiaire dans ses articles 55 et 56 prévoit deux dispositions importantes :
•?Une attention est apportée aux soins aux personnes détenues par une mission ajoutée aux
ARS qui « évaluent et identifient les besoins sanitaires des personnes en détention. Elles définissent et régulent l’offre de soins en milieu pénitentiaire » (article 55).
•?Les schémas régionaux d’organisation sanitaire (SROS) doivent étudier spécifiquement « Les objectifs et les moyens dédiés à l’offre de soins en milieu pénitentiaire » (Art. 56).
Dossier médical unique
L’article 54 prévoit la création d’un dossier médical unique. Pour illustrer cette disposition, les débats du Sénat en début 2009 et déjà publiés dans Kamo n°2-2009 sont reproduits ci-dessous.
Nicolas About est très sensible à la qualité des communications entre somaticiens et psychiatres.
Il propose la création d’un dossier médical unique.
Article 54
Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, un dossier médical électronique unique est constitué pour chaque personne détenue.
De larges extraits des débats sont reproduits ci après :
« M. Nicolas About, rapporteur pour avis.
Depuis 1994, chacun des 194 établissements pénitentiaires est doté d’une unité de consultations et de soins ambulatoires, ou UCSA, chargée de dispenser les soins courants, le plus souvent les soins dentaires, et d’assurer la
visite régulière d’un certain nombre de spécialistes, par exemple des gynécologues dans les prisons pour femmes.
La plupart des UCSA disposent également d’un psychiatre à moins qu’il n’y ait dans l’établissement un service
médicopsychologique régional, le SMPR, qui regroupe psychiatres, psychologues et infirmiers spécialisés.
L’installation de chaque UCSA et de chaque SMPR fait l’objet d’une convention entre l’établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met a disposition les personnels et les moyens matériels. En fait, la plupart du temps, les conventions sont signées avec deux établissements hospitaliers car peu d’hôpitaux disposent à la fois de services somatiques et de services psychiatriques.
Ce doublement des rattachements est cause de difficultés matérielles qui s’ajoutent à la difficulté qu’on rencontre, parfois, pour instaurer un dialogue entre les médecins psychiatres et les somaticiens. Ainsi, même lorsque l’UCSA et le SMPR sont connectes par exemple a internet, ce qui est rare, et qu’ils sont connectes entre eux, ce qui est encore plus rare, ils ne peuvent pas partager le même dossier médical car les systèmes informatiques des hôpitaux de rattachement sont le plus souvent incompatibles (2268).
M. Nicolas About, rapporteur pour avis.
Il est bien compliqué d’avoir une approche globale de la santé physique et mentale ! Il ne faut pas que des querelles opposent la médecine somatique et la psychiatrie, les UCSA et les SMPR. Le malade doit être placé au c????ur du dispositif.
Il est donc nécessaire que tous les médecins aient accès à l’ensemble des informations le concernant. Telle est la raison pour laquelle je propose un dossier médical électronique unique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Dans un élan d’humilité louable, la commission des lois reconnaît sa compétence très partielle sur ce point et sollicite l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour être tout à fait franche, je reconnais que les services du ministère de la santé ne sont absolument pas prêts pour le dossier unique électronique. Par conséquent, il est peut-être prématuré de l’imposer pour les détenus alors qu’il n’est pas mis en place pour l’ensemble de la population.
Par ailleurs, je rappelle que les détenus malades sont d’abord des patients avant d’être des détenus. Si on leur impose le dossier médical électronique unique, on les différencie du reste de la population.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
On fera comme pour la population générale : le principe existera, mais on ne l’appliquera pas ! L’analyse de ces débats me conduit, car il n’est guère possible ici de faire autrement, à des positions assez tranchées mais tous ces sujets complexes méritent argumentation de fond détaillée, analyse des pratiques des uns et des autres et surtout la recherche d’une cohérence entre tous les textes sur lesquels s’appuient les pratiques des professionnels intervenant en prison.
Quelle louable intention !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En effet, pour l’instant, nous n’en avons pas les moyens.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Nicolas About, rapporteur pour avis.
Nous comprenons qu’il soit très compliqué de l’imposer pour la population générale, mais, dans le cas qui nous occupe, il s’agit d’un lieu de détention !
Savez-vous que, lorsque la prison abrite à la fois une unité de consultation et de soins ambulatoires et un service
médicopsychologique régional – c’est le meilleur des cas, puisqu’il n’existe qu’un SMPR par région – il n’y a aucun lien entre les deux, pas de câble informatique, pas d’ADSL, et que le dossier établi par le psychiatre n’est pas communiqué au médecin de l’UCSA et inversement ? Et pourtant, on soigne ! C’est tout à fait extraordinaire
! Il me semble que nous pourrions nous battre pour que, si les deux praticiens ne veulent pas avoir le même support papier, il y ait au moins une liaison informatique entre les deux services. Les directeurs de prison vous rétorqueront que c’est l’affaire de l’hôpital.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis.
Pour peu qu’il y ait deux établissements de rattachement, il faudra donc, en plus, que leurs directeurs se mettent d’accord. Et si on leur fait observer qu’il suffit de tirer une ligne, ils veulent bien que ce soit fait, mais refusent de payer les travaux. Il ne s’agit pas ici du dossier médical de tous les Français ! Nous sommes dans un lieu clos où exercent des personnels soignants, parfois au sein d’un seul et même service. Le psychiatre ou le psychologue qui viennent travailler dans l’unité de consultation et de soins ambulatoires pourraient au moins se servir du même dossier médical que le médecin qui, parfois, partage son bureau avec eux ! Or tel n’est pas le cas.
Un dossier médical unique est nécessaire parce que, il semble qu’on ait tendance à l’oublier, les détenus ne vivent pas tout à fait dans les mêmes conditions que la population générale (2485) ».
La proposition ayant été adoptée, on peut s’attendre à des chantiers sans fins entre hôpitaux différents. Un mot quand même pour insister sur l’étanchéité nécessaire entre les systèmes informatiques médicaux et pénitentiaire. A court et moyen terme, on peut compter sur les lenteurs des chantiers administratifs et techniques pour que les informations médicales restent bien couvertes par le secret.
Les fouilles
Terminons cet exposé par l’article 57 qui ne relève pas de la section sanitaire mais est un des deux articles de la section 8 intitulée « De la surveillance ». Les investigations corporelles internes ne peuvent être pratiquées que par un médecin. Celui-ci ne doit pas exercer dans l’établissement pénitentiaire. Il doit être spécialement requis à cet effet.
Article 57
Les fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l’établissement. Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues.
Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes.
Les investigations corporelles internes sont proscrites, sauf impératif spécialement motivé. Elles ne peuvent alors être réalisées que par un médecin n’exerçant pas au sein de l’établissement pénitentiaire et requis à cet effet par l’autorité judiciaire.