Les débats parlementaires portant sur le projet de loi des soins sans consentement démontrent de façon éclatante la volonté de faire aboutir des dispositions coercitives à l’encontre de personnes malades concernés par les procédures d’hospitalisation « à la demande de l’autorité publique ». Le recul de 2007 sur les dispositions initiales de la loi de prévention de la délinquance qui désignaient comme dangereux les patients suivis en psychiatrie n’était donc que simulé. Depuis, le discours d’Antony a ranimé cette urgence à légiférer.
Les professionnels de la psychiatrie ont bien tenté de faire entendre aux cabinets ministériels comme aux parlementaires que le régime d’exception ne se justifiait pas, et que les garanties d’une loi tenaient d’abord aux moyens dont disposaient les établissements pour l’appliquer. Mais rien ne semble pouvoir arrêter cette ivresse sécuritaire, autant illégitime qu’inefficace, qui conduit à un dispositif dont tout démontre qu’il est inspiré par la défiance envers les professionnels du soin psychiatrique. L’autorité administrative, toute puissante dans sa clairvoyance naturelle contre la multitude des avis médicaux exigés, continue à pouvoir priver de libertés un malade dont les médecins estiment que cette mesure ne s’impose plus. Cette loi est délibérément une loi rétrograde, une loi de défense sociale qui ne dit pas son nom, quand elle refuse d’affranchir la psychiatrie française de la tutelle préfectorale.
Pour s’assurer de la domestication des psychiatres et de leur soumission à l’autorité administrative, on décide sans vergogne de maintenir leur nomination désormais placée depuis la loi HPST sous le contrôle du directeur, bafouant l’équilibre des pouvoirs voulus par le législateur de 1838. L’obligation de « protocoles » ou de « programmes » de soins contrôlés, dont le contenu relèvera de décrets à venir, est une atteinte à l’indépendance de prescription des soins. Et la désignation par le directeur de soignants chargés de participer à des commissions ou des collèges pour rendre un avis sur certains patients, relève indéniablement de l’abus de pouvoir. L’avis du Conseil de l’Ordre des médecins se fait toujours attendre.
Le recours attendu à la compétence judiciaire pour la validation des soins sans consentement ne rachète pas ce texte, car l’intervention du juge des libertés se révèlera complexe avec de multiples obstacles. L’intérêt du patient devra bien souvent être sacrifié aux contingences pratiques, et le contact direct de la personne avec le magistrat sera écarté au profit de la visioconférence comme solution de facilité. La loi, inapplicable dans le quotidien des établissements, sera source d’innombrables conflits, complications et contentieux…
Pourtant, il serait bien temps que notre pays propose une loi équitable, assurant de manière équilibrée des soins psychiatriques avec ou sans le consentement du patient, sans que ne soit stigmatisée une catégorie d’individus, sans que ne soit désavouée la compétence soignante des psychiatres et des équipes soignantes, sans que la sécurité des patients et de la population ne soit menacée, et sans que la référence à l’ordre public ne s’impose comme une nécessité. Nombre de pays voisins y sont parvenus sans heurt ni désordre.
Au lieu de cela, c’est une loi inextricable, inapplicable, déraisonnable, désorganisatrice, consommatrice de moyens, sans aucun gain réel de sécurité et que l’on s’apprête à imposer contre son gré à l’ensemble d’un corps de professionnels dont on méprise les avis
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C’est de surcroît une loi désintégrée d’un projet d’ensemble, les quelques assurances du ministère sur la mise en chantier d’une réflexion globale sur les problématiques de santé mentale et sur l’organisation des soins en psychiatrie se réduisant comme peau de chagrin à l’annonce d’un nouveau « plan de santé mentale », qui se présente comme un catalogue disparate sans ambition, sans objectifs généraux ni échéancier.
Des questions essentielles comme celles traitant des relations entre justice et psychiatrie, (ainsi que le rapport sénatorial de mai 2010 sur la responsabilité pénale des malades mentaux en avait souligné en vain les nécessités), ou du rôle de l’outil sectoriel dans la prévention et surtout de l’organisation territoriale spécifique à la psychiatrie, maltraitée par la loi HPST, qui réclament bien entendu des dispositions législatives distinctes, ne sont même pas prises en considération.
L’IPP expriment sa profonde consternation devant ces orientations privilégiées par le gouvernement et bon nombre de parlementaires qui ne jugent pas digne que les malades mentaux aient accès aux mêmes droits que tout citoyen d’un État moderne, orientations qui dégraderont sévèrement la qualité des soins déjà critique dont a besoin une partie toujours plus importante de la population.