Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux
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Un gouvernement qui maîtrise l’art du bonneteau pour l’hôpital

L’intervention d’Agnès Buzyn au congrès Urgences pour répondre à la colère des services présente des points communs avec les réponses à la psychiatrie publique qui occupait il y a encore peu de temps l’actualité médiatique sur le malaise des hôpitaux.

Après des mois de vive mobilisation dans les hôpitaux psychiatriques et de dénonciation de la dégradation des conditions de soins, la ministre de la santé avait fini par annoncer une liste de mesures, notamment comme pour les urgences, lors d’un congrès.

Il va sans dire que la concrétisation de ces annonces est très attendue par la psychiatrie publique et c’est la première circulaire de la campagne tarifaire 2019 récemment publiée qui devrait confirmer si l’« initiative de grande ampleur » promise par le président Macron à Pessac est au rendez-vous.

Et malheureusement sans surprise, la circulaire tarifaire dégonfle l’énumération des moyens avancés.

1) Présenté comme « un signal fort aux acteurs », le dégel de 50 millions d’euros pris dans les réserves prudentielles de la campagne 2018 avait été annoncé par la Ministre de la santé: dans les faits, ce dégel « exceptionnel » ne concerne pas la totalité des 59 millions des mise en réserves 2018, et aussitôt annoncé, il n’empêche pas une nouvelle mise en réserve de 54 millions d’euros pour 2019. Au delà du tour de magie mathématique,la manœuvre questionne la pertinence de ces mises en réserve pour la psychiatrie à laquelle on applique une méthode de régulation de déficits potentiels comme en T2A, alors que son financement est fait de DAF, c’est-à-dire d’enveloppes d’emblée limitées.

2) Au congrès de l’Encéphale, 40 millions d’euros figuraient dans la liste des sommes débloquées pour la crise de la psychiatrie. Mais destinés au logement et à l’aide à l’emploi dans le champ de la santé mentale, ces crédits concernent en fait le secteur médicosocial et la politique du handicap : s’ils peuvent être considérés comme complémentaires des besoins de la psychiatrie, ces crédits ne sont pas des enveloppes sanitaires attribuables aux services de psychiatrie. Ces tours de passe-passe dans la présentation des moyens sont facilités par les principes de fongibilité asymétrique et par le flou qui ont accompagné pendant des années la nature des budgets supposés attribués à la santé mentale et à la psychiatrie : un fléchage clair des sommes concernées est un minimum indispensable.

3) Contrairement à la communication, la psychiatrie n’est pas plus en 2019 que dans les campagnes tarifaires antérieures, une priorité: la LFSS 2019 a bien prévu une augmentation des budgets pour la psychiatrie, mais quand l’ONDAM global pour les établissements de santé progresse de 2,4%, celui des DAF n’augmente que de 1,6 %, comme si le « sous-financement » de la psychiatrie diagnostiqué par la mission flash de la députée Wonner devait passer de chronique à éternel.

4) Mieux, cette augmentation de 1,6% concerne les DAF, donc la psychiatrie publique, alors que le secteur privé lucratif bénéficie lui d’une progression de crédits de 2,7%. Cette différence de traitement entre privé lucratif et secteur public a été signalée par le rapport Aubert sur la réforme du financement, reproduite d’année en année (en moyenne, 3,2% de progression des crédits pour le privé contre 1,2% pour le public par an), ce qui n’est pas sans conséquence sur l’offre de soins: les cliniques sous OQN financées au prix de journée, se trouvent incitées à favoriser les séjours, alors que le secteur public sous dotation annuelle a dû réduire son nombre de lits.

Le rapport Aubert ne souligne cependant pas l’absurdité de cette inégalité:

  • Comment expliquer que les LFSS successives choisissent de restreindre les budgets du secteur public, c’est-à-dire les moyens du secteur qui assure la majorité des prises en charge des 2,4 millions de personnes qui s’adressent à la psychiatrie, en nombre croissant ?

  • Quelle est la logique d’une politique de santé qui exhorte à la fois au virage ambulatoire et étrangle des DAF sur lesquelles repose ce type d’offres de soins? En effet, le virage ambulatoire a été initié grâce à la sectorisation dans le secteur public et la différence du privé lucratif, l’ambulatoire y contient bien plus que des consultations en CMP, auxquels on reproche de trop longues listes d’attente : ce sont des prises en charge variées comme les consultations psychiatriques, les actes infirmiers de proximité, les accompagnements sociaux, les alternatives à l’hospitalisation comme les logements thérapeutiques ou les familles d’accueil, qui doivent être coordonnées à partir des secteurs. C’est aussi sur les DAF que repose l’effort de maintenir fonctionnelles les réponses à l’urgence ou à la crise (centres de crise, services d’urgences psychiatriques dédiées ou psychiatrie de liaison, équipes mobiles, etc.), ou des soins complémentaires tels que les CATTP qui jouent un rôle essentiel pour la stabilisation hors des murs de l’hôpital.

    Autre signe de la surdité gouvernementale, c’est en pleine crise de secteurs fragilisés faute de moyens, que l’IFAQ (incitation financière à l’amélioration de la qualité) est étendue à la psychiatrie dans la LFSS 2019 et à la demande du gouvernement, assortie d’un malus en cas de non respect des indicateurs de qualité : est-ce que menacer de restrictions budgétaires des hôpitaux qui se plaignent de ne pas avoir les moyens d’assurer des soins de qualité, vise à abréger les souffrances du service public?

    Le contenu de la circulaire de la campagne tarifaire de 2019 montre donc que les annonces ministérielles sont avant tout une opération de communication. La priorité est donnée à la feuille de route santé mentale et psychiatrie présentée en 2018 : la psychiatrie y est placée entre bien-être et handicap psychique, et bien que « parent pauvre » de la médecine selon la ministre elle-même, doit selon la mesure 31 se contenter de la notion vague d’une préservation de ses budgets.

    Pourtant, comme les services des urgences, la psychiatrie publique garantit une somme de missions d’intérêt général qu’il serait irresponsable de négliger. Elément indispensable de santé publique et facteur de stabilité sociale, le service public hospitalier ne peut être délaissé sans risques.

    Est-ce que le lancement de la réforme du financement des établissements psychiatriques prévu dans quelques jours sera à la hauteur?